Nous nous sommes rassemblé.e.s au moment de la pandémie de COVID-19, aux côtés du mouvement de lutte contre la brutalité policière et le racisme systémique, pour affirmer les droits de tous les travailleurs.euses de l’image et définir les actions qui permettront de construire une industrie plus sûre, plus saine, plus inclusive et plus transparente.
La pandémie de COVID-19 met en évidence et exacerbe les inégalités envers les travailleurs.euses, en particulier ceux et celles qui sont marginalisé.e.s (y compris les Noirs, les autochtones et les personnes de couleur [BIPOC], la classe ouvrière, les femmes, les personnes non binaires et non conformes au genre, les personnes handicapées et les personnes LGBTQIA+). Cette pandémie présente une occasion de rectifier ces inégalités. Elle a mis à nu l'oppression systémique, et accru les tensions communautaires jusqu’à ce que s’initie une révolution mondiale pour les droits civiques. Cette révolution met l'accent sur le démantèlement des systèmes qui, historiquement, supportent et maintiennent la suprématie blanche et fait écho à notre appel à une transformation immédiate et radicale de notre industrie de manièr à honorer le moment présent. Ce soulèvement est notre appel collectif à une action immédiate. La charte des droits de la photo est une étape fondamentale pour changer notre industrie et obtenir des droits et des accès pour tous.
Le travail et les moyens de subsistance des travailleurs.euses de l’image (notamment les photographes, les directeurs.trices de la photographie, les journalistes vidéo et de la radiodiffusion, les monteurs.euses visuels, les assistant.e.s et les producteurs.trices) étaient déjà mis à rude épreuve, bien avant cette pandémie. Cette déclaration des droits répond principalement aux préoccupations des travailleurs.euses indépendant.e.s, bien qu'elle concerne aussi les salarié.e.s.
Ce document attire l'attention sur les questions omniprésentes dans l'ensemble des industries du journalisme visuel et des médias éditoriaux, qui concernent la santé, la sécurité, l'accès, les préjugés, l'éthique et les finances. Il propose des solutions pour établir des normes équitables par le biais de mesures concrètes.
Les institutions médiatiques ne peuvent prétendre éduquer et faire progresser la compréhension du public sur les injustices tout en maintenant des pratiques qui marginalisent les travailleurs.euses. Le regard de l'homme blanc, occidental et cisgenre a été utilisé pour coloniser, priver de droits et déshumaniser. Le fardeau de reconnaître, de rendre compte et de vivre avec ces injustices a été placé sur ceux qui ont le moins accès au pouvoir et aux ressources, et qui manquent de recours au sein de l'industrie.
Nous proposons ce cadre aux travailleurs.euses de l'industrie de l’image et des médias à l'échelle mondiale en aspirant à ce que cette base de travail amplifie les transformations existantes au sein de l'industrie à travers le monde.
Il ne s'agit pas d'un document juridiquement contraignant, mais d'un appel à l'action, d'un guide, d'un code éthique. C'est une occasion de reconnaître les problèmes au sein de notre industrie et d'agir pour les résoudre.
Pour plus de détails sur le contexte, veuillez consulter les résultats de l'enquête menée par Visual Storytellers auprès de plus de 700 travailleuses.eurs issu.e.s de divers secteurs de l’industrie, qui ont fourni des preuves et un aperçu de bon nombre des problèmes exposés dans cette déclaration des droits.
SANTÉ & SÉCURITÉ :
Le bien-être physique et psychologique des travailleurs.euses de l'industrie visuelle exige une diligence raisonnable et un accès transparent à l'évaluation de la sécurité, aux indemnités de risque requises, à l'équipement de protection individuelle, à la formation et à des soins post-traumatiques si nécessaire.
Le travail visuel et médiatique comporte souvent des risques personnels et doit être soumis à des évaluations et des pratiques appropriées qui garantissent la santé et la sécurité physiques, psychologiques et émotionnelles, la sécurité juridique et numérique, et le respect de l'identité (comprenant la race, la religion, le sexe, la sexualité, l'âge ou le handicap).
Qu'ils ou elles soient en commande ou assistent à des événements liés à l'industrie, les travailleurs.euses ainsi que les personnes qu'ils et elles rencontrent dans le cadre de leur travail doivent être traité.e.s avec respect. Une industrie solidaire parle ouvertement des traumatismes, améliore les soins, pratique la communication non violente, respecte les frontières personnelles et permet la dignité de l'humanité de tous.
Les circonstances individuelles déterminent le bien-être collectif. Les travailleurs.euses doivent être habilité.e.s à atténuer les risques et à prendre des décisions en connaissance de cause pour elles/eux-mêmes, leurs familles et les communautés dans lesquelles elles et ils vivent et travaillent.
ACTION :
Ne pas pénaliser les travailleurs.euses qui suscitent une réflexion sur des questions de sécurité.
Fournir et/ou rembourser l'équipement de protection individuelle approprié, la formation sur les environnements hostiles et les autres matériels de sécurité nécessaires. Reconnaître que le manque d'expérience ou de formation est utilisé pour justifier des pratiques d'embauche inéquitables.
Fournir une évaluation de la sécurité, un plan de communication et un plan d'action pour le travailleur.euses et sa famille en cas de maladie, de blessure, de détention ou de décès dû à une affectation.
Mettre en place une prime de risque pour les missions à haut risque ou mettant la vie en danger.
Embaucher localement et considérer les travailleurs.euses comme une autorité sur leur propre communauté ; les travailleurs.euses locaux peuvent souvent mieux comprendre les risques spécifiques à leur région et à leur quartier.
Donner la priorité à la santé et à la sécurité des travailleurs.euses, ainsi que celle de ceux et celles qu'ils ou elles rencontrent dans le cadre de leur travail, notamment les écrivain.e.s, les chauffeurs.euses, les réparateurs.trices, les journalistes locaux, les sources et les membres de la communauté. Protégez ces personnes et ces relations tout au long du processus éditorial.
LES FINANCES ET LA PROCÉDURE DE RÈGLEMENT DES GRIEFS :
Le respect et la sécurité financière font partie intégrale de la réussite de tous les travailleurs.euses de l’industrie visuelle et médiatique. Il faut créer un processus transparent pour le paiement en temps voulu, le paiement anticipé, les frais d’annulation et le traitement des problèmes financiers et contractuels sans représailles.
Des relations d'affaires équitables et transparentes créent une culture de sécurité financière pour tous. Des systèmes de paiement inefficaces, des retards dans le remboursement des dépenses, un langage contractuel prédateur et des procédures de réclamation peu claires font perdre du temps et des ressources non seulement aux travailleurs.euses, mais aussi aux parties qui les embauchent.
Les travailleurs.euses qui n'ont pas accès à des ressources monétaires, sociales et/ou juridiques sont souvent contraint.e.s de quitter l'industrie. Les travailleurs.euses passent d'innombrables heures non rémunérées à naviguer dans des systèmes bureaucratiques opaques pour tenter d'obtenir le paiement de leur travail accompli.
Des frais d'annulation doivent être appliqués lorsque des travailleurs.euses sont engagé.e.s pour des mandats qui sont annulées ou qui ne sont jamais publiées, au lieu du paiement initial convenu.
Les retards de paiement et les missions avec des dépenses initiales nécessitent une liquidité considérable, ce qui est prohibitif pour de nombreux travailleurs.euses et les empêche potentiellement d'accepter certains contrats. Le paiement en temps voulu, le paiement anticipé et le remboursement des dépenses garantissent la capacité à travailler sans encourir de risque financier, de dette ou de préjudice à long terme par le biais d'une atteinte au crédit.
Les travailleurs.euses ne doivent pas être contraint.e.s de mettre en balance les relations de travail avec les parties qui les embauchent et la nécessité de percevoir des indemnités et de faire respecter les contrats. Des échanges transparents et respectueux devraient être la base, indépendamment de la situation financière individuelle des travailleurs.euses.
ACTION :
Avant que le travail commence, il faut une compréhension claire et réciproque:
-- du contrat, des conditions et des documents requis
-- de l’échéancier de paiement
-- des instructions de facturation
-- du contact direct pour les services juridiques et financiers en cas de problèmes de paiement ou de demandes de renseignements
Assurer un remboursement ponctuel des frais initiaux ou des avances de frais. Envisager de mettre en place des sanctions en cas de retard de paiement.
Mise en place de frais d’annulation pour les commandes non publiées ou annulées avant d’être terminées. Les termes et conditions doivent inclure le droit de publier les images ailleurs ou en octroyer la licence ailleurs.
Veiller à ce que les droits d'auteur restent la propriété des travailleurs.euses, et ce notamment en éliminant l'utilisation de contrats prédateurs de types ‘prestation de services’ ou en payant des taux plus élevés pour tenir compte de la perte de revenus futurs.
Veiller à ce que les droits de sous-licence restent entre les mains des travailleurs.euses, adopter des termes de partage des revenus issus de la sous-licence ou payer des taux plus élevés pour compenser la perte de revenus futurs.
Éliminer le bannissement tacite (“shadow banning”) des travailleurs.euses qui contestent les termes d’un contrat. Reconnaissez et interrogez le rôle que vous jouez et qui perpétue ce système. Adopter des conversations plus transparentes qui responsabilisent l’ensemble de vos collègues, interlocuteurs.trices afin de créer une communauté privilégiant le soutien et l’entraide.
HARCÈLEMENT ET ABUS SEXUELS :
Les travailleurs.euses issus de groupes marginalisés sont régulièrement victimes d'abus sexuels et de harcèlements (micro-agressions, discrimination, harcèlements et agressions) dans le cadre de leur travail. Il faut donner priorité à la sécurité de tous les travailleurs.euses en répondant de manière proactive aux préoccupations et aux griefs par des politiques visant à éliminer les abus sexuels et le harcèlement.
Les abus sexuels et le harcèlement par des individus oeuvrant au sein de l'industrie (y compris les sources, les collègues et les supérieur.e.s) sont profondément enracinés dans un manque de respect pour l'autonomie corporelle individuelle et sont le produit d'une industrie qui reste très majoritairement misogyne et raciste.
Tout effort de parité et d’inclusion au sein de l'industrie de l’image est freiné lorsque les travailleurs.euses marginalisé.e.s quittent l'industrie à la suite d'abus ou de harcèlements. Historiquement, les abus et les harcèlements sont associés à des promesses d'avancement professionnel et/ou des menaces de préjudice professionnel. Une industrie de l’image sécuritaire et responsable exige une attitude de tolérance zéro envers les abus sexuels et le harcèlement.
ACTION :
S'engager à mettre en place une politique et un protocole pour recevoir et enquêter sur les allégations de toutes formes d’abus sexuels et de harcèlement. Donner la priorité à la sécurité dans le traitement de ces allégations. Communiquer et appliquer cette politique et ce protocole clairement à l'ensemble du personnel ainsi qu’aux travailleurs.euses indépendant.e.s.
N'utilisez pas des accords de non-divulgation et autres outils juridiques pour faire taire ceux et celles qui ont été victimes d'abus, d’harcèlement ou de discrimination.
Éliminer la nécessité d’avoir recours à des réseaux-murmures (“whisper networks”) en développant, au sein de toute organisation, une mémoire institutionnelle qui conserve les informations sur les personnes considérées comme prédatrices, dangereuses et donc inemployables. Les réseaux-murmures (“whisper networks”) sont à eux seuls inadaptés et insuffisants pour protéger les travailleurs.euses. Ils font passer injustement le fardeau de ceux qui ont eu un comportement abusif (et de leurs employeurs.euses) aux victimes et aux victimes potentielles qui doivent alors prendre des mesures afin d’éviter ces agresseurs.euses.
Ne tolérez pas les abuseurs.euses. Créez un protocole qui donne la priorité à la réduction des préjudices et responsabilise votre milieu.
Éliminer le bannissement furtif (“shadow banning”) lorsque les travailleurs.euses signalent des abus.
PARITÉ, INCLUSION ET PRÉJUGÉS :
Une industrie éthique exige un accès équitable aux opportunités d’emplois et une parité des taux de rémunérations, ainsi qu'un soutien à la croissance continue. Il est important de créer et mettre en place des codes de conduite, des formations et des systèmes clairs pour mieux identifier et contester les préjugés implicites qui biaisent la prise de décision.
Il va sans dire qu’il est essentiel d’établir des relations avec un large bassin de travailleurs.euses de l’image provenant de différents milieux, et d’embaucher abondamment au sein de ce bassin de main-d'œuvre diversifié. Le succès de l’industrie de l’image est mesuré par les conditions de vie des travailleurs.euses les plus sous-financé.e.s, sous-représenté.e.s et sous-payé.e.s.
Une couverture précise et véridique des réalités contemporaines et historiques conduit à une société bien informée. Un tel objectif nécessite un accès sécuritaire et respectueux aux communautés concernées et une compréhension approfondie des problèmes, des histoires et des personnes documentées. Cela est possible via des pratiques d'embauche inclusives qui favorisent un éventail de perspectives.
ACTION :
Recruter, former, encadrer et soutenir les travailleurs.euses de l’image qui manquent de ressources.
Établir des partenariats avec des groupes d'équité afin de constituer et de maintenir des listes de travailleurs.euses diversifiées, y compris et surtout celles qui oeuvrent au sein de leur communauté. Réexaminez et élargissez cette liste fréquemment.
Établir et mettre en œuvre un système complet de suivi et d'analyse des pratiques d'embauche afin de garantir l'équité des opportunités de travail.
Créer des structures de rémunération transparentes qui indiquent les frais à tous les niveaux. Éliminer les disparités salariales.
Éliminer les préjugés associés à la maternité. Ne pas discriminer les travailleuses enceintes. Montrez votre soutien aux parents qui travaillent en ne faisant aucune supposition et en les laissant plutôt vous dire s'ils doivent modifier leur charge de travail.
Éliminez le bannissement furtif (“shadow banning”) lorsque les travailleurs.euses soulèvent des questions relatives aux préjugés.
POUR CONCLURE :
Cette Déclaration des droits est un premier pas pour construire une industrie de l’image collaborative et consciencieuse. Le changement est possible si nous sommes prêts à identifier et à traiter les problèmes qui persistent au niveau individuel et institutionnel.
La narration visuelle, dans son idéal, valorise l'intégrité, le respect, la transparence et la responsabilité. Il est temps de travailler ensemble pour construire une industrie viable, accessible, équitable et inclusive; autrement nous ne pouvons pas être un véritable miroir du monde.
Si vous êtes un.e travailleur.euses de l’image : devenez co-signataire et partagez ce document ainsi que la boîte à outils qui l'accompagne avec vos collègues afin d’encourager davantage de collaboration et de transparence dans votre pratique.
Si vous êtes employeurs.euses : devenez co-signataire et utilisez ce document pour améliorer vos pratiques et défendre les personnes que vous embauchez.
Si vous êtes en position d'amplifier ce message : devenez co-signataire et défendez l'amélioration des politiques et des pratiques afin de changer l'état toxique et intenable de notre industrie.
La Déclaration des droits de la photo a été créée en même temps que des ressources supplémentaires destinées à faire passer les objectifs de cette initiative du stade de la conversation à celui de l'action concrète.
L'initiative "Beyond the Bill" offre un point de départ pour le développement continu d'une pratique plus consciencieuse et plus équitable des médias visuels. Nos appels invitent à la réflexion - pour que les travailleurs.euses tirent leurs propres conclusions, entament des conversations au sein de leurs réseaux et passent à l'action - au-delà de la Déclaration des droits de la photo.
En outre, nous avons créé des boîtes à outils contenant des ressources spécifiques pour les travailleurs.euses de l'industrie des médias visuels et leurs employeurs.euses. Ces boîtes à outils, fondées sur la Déclaration des droits de la photo, offrent des modèles d’application pratique, fournissant des processus qui peuvent être mis en œuvre sur le lieu de travail et sur le terrain.
Nous vous encourageons à prendre le temps de réfléchir à l’ensemble des documents, afin de vous engager davantage, d'apprendre et de participer activement à la création d'une meilleure industrie de l’image.
Nous reconnaissons que ce document a été conçu par des travailleurs.euses de l'industrie de l’image aux États-Unis, où cette industrie exploite souvent la main-d'œuvre et les connaissances de travailleurs.euses de l'industrie de l’image à l'extérieur du pays. Une application internationale de ces droits et d'autres droits doit être considérée par l’ensemble des employeurs.euses. Nous espérons que ce document pourra servir de point de départ à des individus et des organisations en dehors des États-Unis pour défendre les besoins spécifiques de leurs communautés. Nous nous joindrons, amplifierons et soutiendrons tout effort dans ce sens.
[Published July 21, 2020; Translated by Laurence Butet-Roch & Adrienne Surprenant]